Chers frères et sœurs,
« Vous êtes le sel de la terre », disait tout à l’heure le Seigneur à ses disciples. Je voudrais donc m’arrêter avec vous sur cette image du sel. Pourquoi le sel ? Pourquoi pas le miel, ou le sucre ?
Connaissez-vous ce vieux conte raconté dans de nombreux pays ?
« Un jour, le roi demanda à ses trois filles comment elles l’aimaient. L’ainée a répondu : « Comme le sucre ». La seconde a dit : « Comme le miel ». La cadette avoua : « Comme le sel ». Le roi était content de deux premières réponses. Elles le flattaient. Mais d’être aimé comme le sel, qui fait rouiller les armures et qui ravive les plaies, cela ne lui a pas plus. Il chassa sa fille cadette du palais en ne lui donnant qu’un sac du sel comme héritage.
La jeune fille parti dans un pays lointain et rencontra un prince charmant. Ils décidèrent de se marier. Pour le mariage, la fille invita son père. Le repas était somptueux. Mais le vieux roi ne mangea rien. En effet tous ses plats étaient préparés avec du sucre ou avec du miel, sans une pincée de sel. C’était immangeable. Ayant gouté les plats des autres convives, il demanda qu’on lui apporte du sel. Sa fille est apparue avec le sac de sel que le roi lui avait remit en la bannissant. C’est alors que le roi comprit sa terrible erreur et demanda pardon à sa fille cadette car il n’avait pas eu assez de sagesse pour comprendre ces paroles ».
Du coup, j’aime beaucoup cette image du sel qu’emploie le Seigneur pour décrire ses disciples d’entant et d’aujourd’hui. Elle est excellente pour quatre raisons :
Premièrement : Comme le sel est pour la terre, ainsi les chrétiens sont pour le monde.
Avez vous déjà gouté une cuillère de sel ? Et bien c’est immangeable, cela n’a aucun sens. De même les chrétiens renfermés sur eux-mêmes n’ont aucun sens. Il s’agit ici de la profonde nature évangélisatrice de chacun d’entre nous. Par le baptême, nous avons reçu du Seigneur la mission d’être le sel de terre, c’est à dire : réveiller les papilles de l’espérance du monde, rendre la saveur à la vie, sublimer les choses ordinaires. Quelle différence en effet : vivre et vivre pour Dieu ; souffrir et souffrir avec le Christ ; voire le temps s’écouler et savoir que chaque instant nous rapproche de l’éternité. La foi chrétienne, comme le sel dans les plats, transfigure la vie. Pensez à la culture, la littérature, les arts, la musique, l’architecture pénétrés par la grâce de la foi chrétienne et dont les vestiges font aujourd’hui la fierté des peuples.
Je vous en conjure, ne perdez jamais votre esprit missionnaire vis-à -vis du monde. Il se peut que votre voisine attende que vous veniez sonner à la porte et lui dire : « Aller, je vous amène à la Messe » ; il se peut que votre ami attend que vous lui disiez : « Tiens, j’amène ton fils (ta fille), avec le mien au caté, puisque tu ne le peux pas à cause de ton travail ». Osez donner du goût à la vie : la vôtre et celle d’autrui. Le Seigneur vous l’a dit : vous êtes le sel de la terre, c’est votre mission !
Deuxièmement : Le sel est aussi employé d’une autre façon : on l’éparpille sur les routes, pour éviter les glissades et les accidents, pour rendre la chaussée praticable.
C’est ainsi que les chrétiens par leur présence empêchent le monde de glisser dans les ravins du désespoir et de la décadence. Quelle que soit la tempête, la seule route sûre pour parvenir vers la lumière éternelle du Seigneur passe toujours par l’Eglise, dans le respect des commandements divins, dans la pratique régulière des Sacrements, dans la fidélité constante à la Parole du Christ.
Troisièmement : Dans son « Petit Journal d’un curé de Campagne » Georges Bernanos met dans la bouche d’un vieux curé les paroles suivantes : « Le Seigneur a dit « vous êtes le sel ». Or le sel sur une plaie, cela fait mal. Mais cela empêche de pourrir ».
Il n’est jamais facile de raviver une plaie. Mais les chrétiens ont une obligation d’empêcher que les plaies du monde, – surtout l’extermination des enfants à naître, liquidation des personnes âgées, dénaturation des liens du mariage, relativisme de la pensée, – deviennent une gangrène inguérissable.
Enfin, quatrièmement : Le Seigneur nous met en garde : « Si le sel se dénature, il ne sert plus à rien ». Notre mission est donc de garder intacte la saveur de l’Evangile. Et même si le monde entier préfèrerait la douceâtre mièvrerie des paroles mielleuses, un chrétien ne peut proclamer que la vérité du message salé de la croix du Seigneur : sans tabou, sans détour, sans concession ! Renoncer, s’accommoder de l’esprit du monde, signifierait de perdre sa propre identité, ne servir plus à rien.
Frères et sœurs, comme le sel, nous sommes indispensables au Seigneur pour donner le goût à la vie de la terre. Prenons au sérieux notre mission. Nous venons de l’océan d’amour de Dieu, nous sommes séchés par le soleil de la Résurrection, nous sommes recueillis par les mains de la Sainte Vierge Marie. Nous voici prêts à l’emploi.
Seigneur sers-toi de nous selon ton bon plaisir et selon ta sagesse ! Amen.
Abbé Bogdan Velyanyk – Curé